« l’Identité de chacun d’entre nous dépend de l’enchaînement des reconnaissances et de sa stabilité dans le temps. » Salvatore Veca
Après une présentation de Philippe Tesson qui a certainement fait piailler d’impatience Thierry Lopez, nous avons vu sous la lumière du jardin apparaître une forme longiligne.
Habillée d’une jupe plissée noire au tombé impeccable, rehaussée par des chaussures à talons à faire pâlir plus d’une femme, une femme s’approche dans une démarche légère et assurée…puis une voix, un regard attirent notre attention.
Ce fut le début de l’incroyable histoire vraie (qui a permis à son auteur Doug Wright d’obtenir en 2004 le prix Putlizer du texte dramatique) de Charlotte von Mahlsdorf, née et piégée dans un corps d’homme, celui de Lothar Berfelde.
Deux américains aidés par une multitude de personnages, tous incarnés par Thierry Lopez vont nous entraîner dans leur folle enquête, afin de comprendre comment Charlotte a pu passer au travers des mailles du filet, comment elle a pu donner le change face aux nazis et à la Stasi et devenir une icone de la communauté LGBT allemande.
Depuis son manoir, théâtre de sa vie (acheté en ruine et restauré par ses soins) devenu une sorte de musée où sont entreposés ses collections de meubles et objets du XIXe, certains acquis de façons plus ou moins respectables (elle s’était donné la mission de sauver le patrimoine allemand), Charlotte nous conte son parcours.
Née en 1928, elle grandit dans un Berlin voué au troisième Reich et eut une adolescence perturbée par un père obsédé par le parti nazi qui tenta de l’inscrire aux jeunesses hitlériennes.
Rien y fait, Lothar devenu Charlotte malgré la persécution permanente envers les travestis et homosexuels, tiendra tête à ces tyrans et se travestira toute sa vie.
Puis le temps des communistes succède à celui des nazis avec l’entrée dans le cercle infernal de la Stasi.
Ses relations plus ou moins respectables avec cette dernière lui feront quitter l’Allemagne pour la Suède, de nouveau elle ouvrira un musée. Les meubles et objets étaient son obsession.
Elle vivait dans ses musées où elle aimait se produire dans la démonstration de toutes ses excentricités : elle aimait provoquer.
Thierry Lopez est cette Charlotte, chaque centimètre carré de sa peau jusqu’au bout de ses doigts respire son personnage. Il est troublant, magnétique, il nous fait voyager dans son univers riche, dense, tragique, mouvementé, rempli d’émotions.
Avec brio, dans la fragilité d’une première où son trac était palpable, il réussit le pari d’incarner Charlotte, de cet homme fait femme.
Dans de très belles lumières de Jacques Rouveyrollis et des musiques de Maxime Richelme, Thierry Lopez évolue avec grâce, légèreté, bondissant de gramophone en gramophone qui composent ce décor.
En une fraction de seconde, avec un regard perçant et un sourire désarmant, il change de personnage pour revenir sans cesse à sa Charlotte.
Avec passion, sensibilité et sincérité, il nous captive jusqu’à la fin, jusqu’à la dernière pirouette. Une performance d’acteur qui ne laisse pas indifférent.
La mise en scène de Steve Suissa de ce texte adapté par Marianne Groves colle à la personnalité de Thierry Lopez et met en valeur tous ses talents de comédien. Elle est tellement fluide qu’on ne la voit pas.
« Ich bin Charlotte » : au Théâtre de Poche Montparnasse, mardi et mercredi à 19h ; prolongations jusqu’au 10 juillet 2019.
080918