Un piano dans la montagne / Carmen

[wpvideo 5pvFpXtD]

« Un piano dans la montagne / Carmen » d’après Georges Bizet dans une adaptation et une mise en scène de Sandrine Anglade sur la scène du Théâtre Michel Portal de Bayonne, dans une production de la Scène nationale du Sud-Aquitain, est une mise en lumière de l’éclosion du désir de liberté de la Femme via le prisme des yeux de Carmen.

Une page se tourne après trois belles années qui ont lié Sandrine Anglade et la Scène nationale du Sud-Aquitain avec ses représentations de sa dernière création consacrée à l’opéra de Carmen, transposée en œuvre théâtrale. Un moyen de faire découvrir l’opéra dans l’atmosphère d’une représentation théâtrale et vice versa. Deux arts vivants grâce à la capacité des artistes de partager leur passion et une réception du spectateur dans sa capacité à développer son imaginaire. Comme celui de cette Espagne dans les yeux de Georges Bizet, sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après Prosper Mérimée.

Un opéra-comique resserré dans son histoire sur celle de Carmen. Une femme comme il en existe aujourd’hui, jouant des coudes pour assouvir sa soif de liberté, ses choix, de vivre en harmonie avec ses désirs sans se soumettre à la volonté de l’homme, ce personnage aux dents longues, lâche à ses heures, à la masculinité toxique, la considérant parfois comme sa chose, son objet, tout en la soustrayant aux regards des autres prédateurs. Elle qui n’a pas droit à la parole, si ce n’est d’être d’accord avec l’homme, revendique son pouvoir de séduction dans une indépendance totale. MeToo est passé par là et c’est tant mieux : la vision d’un prolongement d’une femme libre du XIX^e à nos jours, que nul ne peut apprivoiser.

Resserré aussi dans son interprétation musicale. D’un orchestre symphonique, ce sont quatre pianos qui vont, accompagnés parfois d’une trompette et d’un violoncelle, donner le tempo à cet oiseau rebelle cherchant refuge dans la montagne. Des instruments de musique qui se sont libérés du carcan de la fosse pour s’exprimer pleinement sur la scène comme des artistes à part entière. Des pianos qui dansent sur scène au rythme de la voix de ces interprètes dans une orchestration exotique, la salsa pointant le bout de son nez, mettant en exergue cette histoire d’amour entre Carmen et Don José, aux voix envoûtantes, troublée par le ténébreux Escamillo et rehaussée par le cœur des enfants, élèves du conservatoire de Bayonne.

Comment ne pas fondre en écoutant le fameux air : « L’amour est un oiseau rebelle » ou encore l’air du « Toréador » entonné par le public, invité à cette occasion par un technicien un peu perturbateur, qui osera dire « Si l’amour est un oiseau rebelle, le clitoris lui donne des ailes ». Le ton est donné !

Dix artistes, complets, brillent sur scène de mille feux pour donner vie à cet opéra à l’intensité dramaturgique pétillante. Manon Jürgens – Carmen, Pierre-Emmanuel Roubet – Don José, Antoine Philippot – Escamillo (mon faible pour les voix de baryton), Parveen Savart – Micaela, et Nikola Takov, Julie Alcaraz (délicieuse avec son violoncelle), Benjamin Laurent, Julia Filoleau, Rony Wolff, Florent Dorin, donnent vie à cette incroyable et étonnante adaptation dans un élan d’humanité réconfortant.

Carmen : l’opéra le plus joué au monde, qui fut rejeté par le public à sa création, a pris sa revanche posthume. Ne boudez pas votre plaisir si vous avez l’occasion d’assister à cette adaptation flamboyante de Sandrine Anglade, qui s’est entourée pour la transcription de Clément Camar-Mercier et de Nikola Takov pour la musique, dans une scénographie de Takov. Une mise en scène originale, tonique, généreuse, pour une mise en lumière de la liberté de la femme dans les choix de sa vie, avec ces artistes à la fois chanteur, danseur et acrobate. Une fusion opéra-théâtre qui mérite votre attention sans la moindre hésitation.

« Un piano dans la montagne / Carmen » par la Compagnie Sandrine Anglade, sur la scène du Théâtre Michel Portal, une production de la Scène nationale du Sud-Aquitain. Vu le 22 novembre 2023