On purge bébé

« On purge bébé » de Georges Feydeau dans une adaptation de Karelle Prugnaud & Nikolaus Holz sur la scène du théâtre Michel Portal à Bayonne, une programmation de la Scène Nationale du Sud-Aquitain, est une vision apocalyptique de l’enfant roi.

J’ai déjà vu des mises en scène déstructurantes comme celle par exemple de la comédie catastrophe « Les faux British » mais alors là, Karelle Prugnaud signe une mise en scène à couper le souffle, tant sonore que visuelle. Certes elle est fidèle au texte de Georges Feydeau mais dans une dérision assumée elle pousse à l’extrême sa vision de la famille, celle de l’enfant roi que chacun d’entre nous peut aujourd‘hui rencontrer dans la vie de tous les jours, et celle du rapport homme/femme avec sa misogynie, son machisme, du féminisme avant l’heure, comblé par une mauvaise foi à réveiller un mort : tout comme Georges Feydeau en montrait en son temps les travers.

La pièce On purge bébé a été représentée pour la première fois le 12 avril 1910 dans le Théâtre des Nouveautés à Paris, depuis cette date beaucoup se sont essayés à la monter avec plus ou moins de succès. Car si au départ on considère le vaudeville comme un art mineur, il n’y a pas de doute, on échoue !

 Les pièces de Georges Feydeau, à la caricature sous-jacente, sont des pièces qui se mettent en scène comme des horloges suisses : leur rythme est fondamental à la réussite de leur comique, entre autres, de situation et de répétition.

On purge bébé, une pièce en un acte qui met en scène un couple monsieur et madame Follavoine et leur fils Hervé, dit Toto, qui a un léger problème récurrent de constipation. Il doit prendre une purge mais il refuse et leur fait du chantage pour arriver à ses fins. Entre-temps monsieur Follavoine doit recevoir monsieur Chouilloux, un ancien militaire qui n’a jamais fait la guerre mais qui travaille au ministère des armées, pour lui soumettre son projet de fournir à l’armée française ses pots de chambre en porcelaine réputés incassables ! La présence intempestive de sa femme en chemise de nuit, affublée de bigoudis, de ses bas tombants et de son seau de toilette qui la suit partout, contrarie quelque peu les projets de son mari qui se prépare à recevoir monsieur Chouilloux.

Karelle Prugnaud, dans une codirection artistique avec Nikolaus Holz, s’en est donné à cœur joie pour malaxer tout ce petit monde afin d’en extraire une sève gourmande de rires, attifée d’exhibitionnisme. Elle associe la vision de Georges Feydeau à la sienne dans un mélange détonnant, introduisant l’art du cirque avec ses envolées et cascades maîtrisées. En préambule, dans une longue tirade, Rose, la bonne à la générosité débordante, éclairée par son plumeau luminescent, nous explique le décor qui va servir de lieu d’intrigue aux soubresauts chaotiques d’un couple dépassé par les évènements. Dans une harmonie endossée, elle marie malicieusement les objets anachroniques à ceux de l’esprit traditionnel de Georges Feydeau.

 Une phrase résume assez bien sa vision de la pièce, de sa mise en scène : « J’adore le bazar. Au théâtre, c’est comme au lit après l’amour, si les draps ne sont pas défaits, c’est qu’il ne s’est rien passé. » Mais pour que tout cela fonctionne, il fallait qu’elle s’entoure d’une équipe, d’une troupe de choc : Pierre-André Weitz qui a conçu les décors aux folles articulations complétés par ses costumes aux couleurs chatoyantes, associé à Nikolaus Holz pour son laboratoire scénographique et Raphaël Cottin pour les chorégraphies.

Quant aux comédiens, il leur faut du tempérament et de l’énergie pour suivre la mise en scène, tant ils doivent faire preuve de souplesse d’esprit et de corps. Patrice Thibaud, dans le rôle M. Follavoine, Cécile Chatignoux dans celui de Rose, Anne Girouard dans celui de Mme Follavoine, Martin Hess dans celui de Toto (à vous de découvrir ses surprises lunaires) et Nikolaus Holz dans celui de M. Chouilloux, sont incroyables de vérité, ils nous partagent leur passion théâtrale, leur amour des planches ! Ils se démènent avec brio dans cette pièce où le sens dessus-dessous règne en maître !

« On purge bébé » sur la scène du théâtre Michel Portal à Bayonne, une programmation de la Scène Nationale du Sud-Aquitain, une production de la Cie L’Envers du décor & Cie Pré-O-Coupé. Vue le 180325 Prochaines représentations, le 19 mars à 20h à Bayonne, Lons-le-Saunier les 25 et 26 mars, Aix-en Provence les 28 et 29 mars, Le Creusot le 17 avril, Thonon-les-Bains le 25 avril, Toulon du 14 au 16 mai, Poitiers du 20 au 22 mai…